Pédagogie

Questionnaire sur la Partie Amérique

Par BENJAMIN PEREZ, publié le mardi 30 octobre 2012 19:29 - Mis à jour le mardi 30 octobre 2012 19:33

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Autrement, la totalité du questionnaire est ici : 

 

La dénonciation des grandes illusions du XXème siècle :

                        … dans Voyage au bout de la nuit, de Louis-Ferdinand Céline

 

 

Introduction du travail demandé : Dans les années 1930, les Etats-Unis faisaient encore figure d’El Dorado, lieu de la réussite pour tous et New York, avec ses gratte-ciel, était la vitrine spectaculaire de cette construction symbolique. New York, image de la réussite et du rêve américain.  Le taylorisme, puis le fordisme, s’inscrivent dans une promesse, celle d’un travail pour tous, permettant d’assurer un marché du travail en extension. Enfin, le Dollar, devise de la performance financière, jouit d’une reconnaissance internationale, dans un monde qui n’est pas touché par la guerre et les problèmes intérieurs comme c’est le cas pour l’Europe au début du siècle. Le dollar, valeur refuge et promesse de protection et de confort pour la société américaine. Ce mythe va attirer un nombre croissant d’étrangers auxquels on promet une intégration rapide et une reconnaissance des talents de chacun.

Derrière ce mythe se cache une réalité, réalité que Bardamu a la mission de décrire. Le personnage arrive à New York comme un laissé-pour-compte et part à la recherche de l’humanité, son regard se pose sur les choses avec ce même désir de trouver de l’humain dans les êtres qu’il rencontre, et, comme ce fut déjà le cas avec la partie africaine de Voyage au bout de la nuit, va aller de désillusion en désillusion. Le personnage arrive plein d’images féériques, et la réalité va venir détruire progressivement tous ces idéaux pour le renvoyer à sa misère. C’est en cela qu’on peut parler de réalisme dans la rencontre entre Bardamu et New-York.

 

 

Partie I du questionnaire de lecture :

L a   p e r c e p t i o n   d e   l ’ A m é r i q u e   p a r   l e

p e r s o n n a g e   p r i n c i p a l   B a r d a m u  :

 

Q° 1 : Lisez ou relisez le premier chapitre consacré à la ville de New York (qui commence par « Comme si j’avais su où j’allais… » jusqu’à « … il est impossible de dormir seul… »). Il y a un mélange de féérie et d’horreur. Cette description de la ville alterne entre rêve de grandeur et cauchemar : pouvez-vous choisir trois passages de quelques lignes qui expriment le rêve et analyser les termes qui expriment le mieux la féérie. Pouvez-vous ensuite choisir trois passages de quelques lignes qui, au contraire, viennent casser cette belle image pour dévoiler l’aspect caché de la ville : son inhumanité (indfférence des gens les uns pour les autres) dans votre premier choix, son aspect sordide dans votre deuxième choix, l’aspect inaccessible de toutes ces merveilles de New-York pour le narrateur-personnage Bardamu dans le troisième choix. (nombre de lignes à votre jugement : 15 minimum)

Q° 2 : Dans les autres chapitres, (y compris celui des « puces »), pouvez-vous relever parmi les mésaventures qui arrivent au personnage, 2 scènes qui illustrent au mieux que New York, loin d’être le lieu de la réussite pour tous, est surtout celui où les misérables sont le plus durement traités ; Vous ferez un résumé des scènes que vous avez choisies pour votre  réponse et expliquerez ce qui vous paraît illustrer le mieux cette dureté à laquelle est confronté le lecteur du roman. 10 à 15 lignes)

 

 

Partie II du questionnaire de lecture :

New York, ville de la réussite individuelle 

ou ville de la détresse humaine ?

 

Q°3 :

A. Je vous propose un passage qui a pour thème le cinéma, l’une des plus grande fierté de l’industrie américaine. Montrez dans une analyse qui s’appuie sur les termes choisis par le narrateur, comment est traité le thème du cinéma. Montrez qu’il inspire à Bardamu autant l’émerveillement que le désespoir, le dégoût et la tristesse :

Il faisait dans ce cinéma, bon, doux et chaud. De volumineuses orgues tout à fait tendres comme dans une basilique, mais alors qui serait chauffée, des orgues comme des cuisses. Pas un moment de perdu. On plonge en plein dans le pardon tiède. On aurait eu qu’à se laisser aller pour penser que le monde peut-être, venait enfin de se convertir à l’indulgence. On y était soi presque déjà.
 Alors les rêves montent dans la nuit pour aller s’embraser au mirage de la lumière qui bouge. Ce n’est pas tout à fait vivant ce qui se passe sur les écrans, il reste dedans une grande place trouble, pour les pauvres, pour les rêves et pour les morts. Il faut se dépêcher de s’en gaver de rêves pour traverser la vie qui vous attend dehors, sorti du cinéma, durer quelques jours de plus à travers cette atrocité des choses et des hommes. On choisit parmi les rêves ceux qui vous réchauffent le mieux l’âme. /…/ Je n’attendis même point qu’on ait rallumé dans la salle. J’étais prêt à toutes les résolutions du sommeil maintenant que j’avais absorbé un peu de cet admirable délire d’âme. »

 

B. Relevez 2 phrases de Bardamu qui expriment son désespoir dans toute la partie « Amérique » et dites pourquoi vous avez choisi celles-là.

 

Q°4 : Ford et le traitement des employés dans le fordisme : Le fordisme a été considéré comme une recette de la réussite industrielle au début du siècle.

[if 1. Montrez que Céline prend ici le contrepied (l’opposé) de cette image idéale du fordisme en soulignant quelques aspects terrifiants de cette présentation de l’usine Ford.

[if 2.    Montrez que cette description est réaliste en vous appuyant sur les choix du narrateur.

 

Et j’ai vu en effet des grands bâtiments trapus et vitrés, des sortes de cages à mouches sans fin, dans lesquelles on discernait des hommes à remuer, mais remuer à peine, comme s’ils ne se débattaient plus que faiblement contre je ne sais quoi d’impossible. C’était ça Ford ? Et puis tout autour et au-dessus jusqu’au ciel un bruit lourd et multiple et sourd de torrents d’appareils, dur, l’entêtement des mécaniques à tourner, rouler, gémir, toujours prêtes à casser et ne cassant jamais.

« C’est donc ici que je me suis dit… C’est pas excitant… ». C’était même pire que tout le reste. Je me suis approché de plus près, jusqu’à la porte où c’était écrit sur une ardoise qu’on demandait du monde.

J’étais pas le seul à attendre. Un de ceux qui patientaient là m’a appris qu’il y était lui depuis deux jours, et au même endroit encore. Il était venu de Yougoslavie, ce brebis, pour se faire embaucher. Un autre miteux m’a adressé la parole, il venait bosser qu’il prétendait, rien que pour son plaisir, un maniaque, un bluffeur.

Dans cette foule presque personne ne parlait l’anglais. Ils s’épiaient entre eux comme des bêtes sans confiance, souvent battues. De leur masse montait l’odeur d’entrejambes urineux comme à l’hôpital. Quand ils vous parlaient on évitait leur bouche à cause que le dedans des pauvres sent déjà la mort.

Il pleuvait sur notre petite foule. Les files se tenaient comprimées sous les gouttières. C’est très compressible les gens qui cherchent du boulot. Ce qu’il trouvait de bien chez Ford, que m’a expliqué le vieux Russe aux confidences, c’est qu’on y embauchait n’importe qui et n’importe quoi. « Seulement, prends garde, qu’il a ajouté pour ma gouverne, faut pas crâner chez lui, parce que si tu crânes on te foutra à la porte et tu seras remplacé en moins de deux aussi par une des machines mécaniques qu’il a toujours prêtes et t’auras le bonsoir alors pour y retourner ! ». Il parlait bien le parisien ce Russe, à cause qu’il avait été « taxi » pendant des années et qu’on l’avait vidé après une affaire de cocaïne à Bezons, et puis en fin de compte qu’il avait joué sa voiture au zanzi avec un client à Biarritz et qu’il l’avait perdu.

C’était vrai, ce qu’il m’expliquait qu’on prenait n’importe qui chez Ford. Il avait pas menti. Je me méfiais quand même parce que les miteux ça délire facilement. Il y a un moment de la misère où l’esprit n’est plus déjà tout le temps avec le corps. Il s’y trouve vraiment trop mal. C’est déjà presque une âme qui vous parle. C’est pas responsable une âme.

A poil qu'on nous a mis pour commencer, bien entendu. La visite ça se passait dans une sorte de laboratoire. Nous défilions lentement. « Vous êtes bien mal foutu, qu'a constaté l'infirmier en me regardant d'abord, mais ça fait rien. Et moi qui avais eu peur qu’il me refusent au boulot à cause des fièvres d’Afrique, rien qu’en s’en apercevant si par hasard ils me tâtaient les foies ! Mais au contraire ils semblaient l’air bien content de trouver des moches et des infirmes dans notre arrivage. - Pour ce que vous ferez ici, ça n'a pas d'importance comment vous êtes foutu ! m'a rassuré le médecin examinateur, tout de suite.

- Tant mieux que j'ai répondu moi, mais vous savez, monsieur, j'ai de l'instruction et même j'ai entrepris autrefois des études médicales…

Du coup, il m'a regardé avec un sale œil. J'ai senti que je venais de gaffer une fois de plus, et à mon détriment.

-  Ca ne vous servira à rien ici vos études, mon garçon ! Vous n'êtes pas venu ici pour penser, mais pour faire les gestes qu'on vous commandera d'exécuter…Nous n'avons pas besoin d'imaginatifs dans notre usine. C'est de chimpanzés dont nous avons besoin…Un conseil encore. Ne me parlez plus jamais de votre intelligence ! On pensera pour vous mon ami ! Tenez-vous le pour dit.

Il avait raison de me prévenir. Valait mieux que je sache à quoi m'en tenir sur les habitudes de la maison. Des bêtises, j’en avais assez à mon actif tel quel pour dix ans au moins. Je tenais à passer désormais pour un petit peinard. Une fois rhabillés, nous fûmes répartis en files traînardes, par groupes hésitants en renfort vers ces endroits d’où nous arrivaient les fracas énormes de la mécanique. Tout tremblait dans l’immense édifice et soi-même des pieds aux oreilles possédé par le tremblement, il en venait des vitres et du plancher et de la ferraille, des secousses, vibré de haut en bas. On en devenait machine aussi soi-même à force et de toute sa viande encore tremblotante dans ce bruit de rage énorme qui vous prenait le dedans et le tour de la tête et plus bas vous agitant les tripes et remontait aux yeux par petits coups précipités, infinis, inlassables. (…) On ne pouvait plus ni se parler ni s'entendre. A mesure qu’on avançait on les perdait les compagnons. On leur faisait un petit sourire à ceux-là en les quittant comme si tout ce qui se passait était bien gentil. On ne pouvait plus ni se parler ni s’entendre. Il en restait à chaque fois trois ou quatre autour d’une machine. On résiste tout de même, on a du mal à se dégoutter de sa substance, on voudrait bien arrêter tout ça pour qu’on y réfléchisse, et entendre en soi son cœur battre facilement, mais ça ne se peut plus. Ca ne peut plus finir. Elle est en catastrophe cette infinie boîte aux aciers et nous on tourne dedans et avec les machines et avec la terre. Tous ensemble ! Et les mille roulettes et les pilons qui ne tombent jamais en même temps avec des bruits qui s’écrasent les uns contre les autres et certains si violents qu’ils déclenchent autour d’eux comme des espèces de silences qui vous font un peu de bien.

Le petit wagon tortillard garni de quincaille se tracasse pour passer entre les outils. Qu'on se range! Qu'on bondisse pour qu'il puisse démarrer encore un coup le petit hystérique ! Et hop ! il va frétiller plus loin ce fou clinquant parmi les courroies et volants, porter aux hommes leur ration de contraintes.

Les ouvriers penchés soucieux de faire tout le plaisir possible au machines vous écœurent, à leur passer les boulons au calibre, et des boulons encore, au lieu d’en finir une fois pour toutes, avec cette odeur d’huile, cette buée qui brûle les tympans et le dedans des oreilles par la gorge. C’est pas la honte qui leur fait baisser la tête. On cède au bruit comme on cède à la guerre. On se laisse aller aux machines avec les trois idées qui restent à vaciller tout en haut derrière le front de la tête. C’est fini. Partout ce qu’on regarde, tout ce que la main touche, c’est dur à présent. Et tout ce dont on arrive à se souvenir encore un peu est raidi aussi comme du fer et n’a plus de goût dans la pensée.

On est devenu salement vieux d’un seul coup.

Il faut abolir la vie du dehors, en faire aussi d’elle de l’acier, quelque chose d’utile. On l’aimait pas assez telle qu’elle était, c’est pour ça. Faut en faire un objet donc, du solide, c’est la Règle.

J'essayais de lui parler au contremaître à l'oreille, il a grogné comme un cochon en réponse et par les gestes seulement il m'a montré, bien patient, la très simple manœuvre que je devais accomplir désormais pour toujours. Mes minutes, mes heures, mon reste de temps comme ceux d'ici s'en iraient à passer des petites chevilles à l'aveugle d'à côté qui calibrait, lui, depuis des années les chevilles, les mêmes. Moi j’ai fais ça tout de suite très mal. On ne me blâma point, seulement après trois jours de ce labeur initial, je fus transféré, raté déjà, au trimballage du petit chariot rempli de rondelles, celui qui cabotait d’une machine à l’autre. Là, j’en laissais trois, ici douze, là-bas quinze seulement. Personne ne me parlait. On existait plus que par une sorte d’hésitation entre l’hébétude et le délire. Rien n'importait que la continuité fracassante des mille et mille instruments qui commandaient les hommes.

Quand à six heures tout s’arrête on emporte le bruit dans sa tête. J’en avais encore moi pour la nuit entière de bruit et d’odeur à l’huile aussi comme si on m’avait mis un nez nouveau, un cerveau nouveau pour toujours.

 

 

 

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